LA FOLLE MISSION PELICAN !
Clip vidéo par drone du Making-Of de notre tournage pour Norsepower © Drone-Pictures
Quand début décembre, la société de production audiovisuelle Irlandaise Whitepine Video Co. nous contacte via le réseau HOsiHO Drone Network (qui permet aux commanditaires de trouver un pilote de drone en France), sa demande paraît simple et facile à mettre en oeuvre au niveau logistique et réglementaire : filmer par drone, au large des côtes, un pétrolier quittant le port de Fos-sur-mer, aux alentours de mi-décembre.
A priori, chez Drone-Pictures, nous sommes plutôt habitués à être en mer avec nos drones, donc aux tournages sur et autour des bateaux, que ce soit pour des productions audiovisuelles ou plus techniques, comme la campagne de mesure de la qualité de l’air à laquelle nous avons participé en 2019 entre Marseille et le golfe de Fos, justement.
Mais, en creusant un peu plus, l’affaire se corse sensiblement au vu des contraintes ci-dessous :
- Le super-tanker, comme tout navire, peut quitter le port de jour comme de nuit, quelque soit les conditions météos (vent fort, hautes vagues, pluies…)
- Filmer uniquement quand il aura atteint une vitesse de croisière de 20 noeuds (soit 37,04 kmh)
- Respecter un plan de vol très précis avec 3 passages du drone de la proue à la poupe et inversement, ce aux altitudes de 10, 50 et 150 mètres, sachant que le Maersk Pelican (c’est son nom), mesure 245m de long (voir schéma)
Nous aimons les challenges, certes, et nous avons maintes fois su les relever, mais dans ce cas et en l’état, dire «Oui nous vous garantissons de le faire », serait au mieux de l’inconscience, au pire un mensonge éhonté, et cela, nous ne le pratiquons pas.
Donc, tout bien pesé, mesurant les contraintes et surtout les aléas, nous décidons d’orienter le client vers une solution « sûre » de prises de vues aériennes, à savoir l'hélicoptère muni d’une Cineflex.
Seul ce type d'aéronef aura la possibilité de garantir le suivi d'un cargo de cette dimension, en pleine mer, lancé à 20 noeuds face à des vagues potentiellement bien formées, de nuit, et/ou par grand mistral ou fortes pluies ! Un drone ne pourra pas grand-chose face à ces aléas, s’ils s’avèrent être en place le Jour J.
La production est séduit par l’idée de l'hélicoptère, nous devisons, mais le montant est près de 4 fois plus qu’une formule Drone en Double opérateurs à bord d'un bateau de suivi, stable, confortable et ultra-rapide...
Le client final, la société finlandaise Norsepower, inventeur et fabricant de voiles rotatives innovantes tranche pour le drone, sachant pertinemment que nous ne pourrons sortir en mer et suivre le pétrolier qu'avec de bonnes conditions météo, et uniquement de jour. La bonne nouvelle sera la réduction de la vitesse de pointe du tanker, qui passe de 20 à 12 noeuds, seulement (soit 22 kmh, ce qui est bien plus raisonnable sur l’eau que 37kmh)!
Ainsi vont les choses: le client a pris le risque de ne pouvoir obtenir ces images (si la météo du Jour J, s’avère difficile), au prix d’une dépense substantiellement moindre.
L’ordre et la logique des choses sont respectées.
Nous, marseillais, sommes alors mandatés par les finlandais (constructeur) et les irlandais (société de production) pour suivre un navire battant pavillon singapourien, appartenant à un armateur danois (Maersk), et commandé par un capitaine indo-pakistanais !
Première tâche, choisir le bon bateau qui suivra ce géant des mers: confortable, rapide et disposant d’une plateforme d’accueil pour notre drone Inspire 2, ainsi que d’un compartiment pour le mettre à l’abri des embruns pendant les phases de navigation pure.
Avec Yatch B&B Event, nous trouvons vite « chaussure à nos pieds », au port de Corbières, avec le semi-rigide Padelya de quasiment 13 mètres avec 2 moteurs V8 de 350 chevaux et une magnifique plage arrière, idéale pour faire décoller et atterrir le drone double-opérateur.
Tout y est, même une cabine avec un lit (parfaite pour protéger le matériel des vagues).
Nous jubilons, mais ce sera de courte durée, car l’opération va prendre bien plus de temps à se concrétiser. Aux aléas climatiques, vont venir s’ajouter des aléas socio-économiques typiquement français.
Jugez-en : prévu pour une arrivée à Fos mi-décembre 2019, le pétrolier Maersk Pelican n’arrivera que le 20/12 et ne pourra pas entrer au port, ceci suite au déclenchement d’un premier mouvement de grève, le 17/12/2019.
Avouons que ce n’est vraiment pas de chance, d’autant que le bateau restera à l’ancre, dans le Golfe de Fos, comme une cinquantaine d’autres navires, pendant 45 jours. C’est énorme!
Le temps s'écoule, les fêtes passent, la Nouvelle Année arrive vite, et malgré les innombrables fausses joies et promesses de départs - ajournés, retardés, annulés - ce bateau, comme tant d’autres, devra attendre sagement et à l’arrêt complet, que les choses rentrent dans l’ordre pour pouvoir poursuivre sa route, et nous, effectuer nos prises de vues aériennes !
Ce 8 février 2020, le Jour J est enfin là. Peu de vent, des nuages dans un ciel très lumineux promettant de belles lumières, et cerise sur notre gâteau, un départ de jour, d’abord annoncé à 10h, puis 11h, Midi, mais qui en fin de compte se fera à 14h30!
Pendant ce temps, nous contactons la base militaire d’Istres, la BA125, car nos vols vont avoir lieu dans une zone aéronautique contrôlée justement par cette base de l'armée (ie la CTR d’Istres). Une fois l’accord obtenu de la tour de contôle, nous nous occupons à tester nos 4 caméras à bord et à faire des images par drone de poursuite du semi-rigide lancé à toute vitesse devant les calanques de la côtes bleues, vers Niolon. Autant d’images qui iront dans ce Making-Of !
14h30, le Maersk Pelican établit enfin le contact par radio VHF sur le Canal 6. Il sort du port et vient de laisser partir le pilote qui l’a fait sortir du port. Le voici donc disposé à être filmé!
Premier vol dédié aux photographies par drone, car nous n’avons pas besoin qu’il soit lancé à grande vitesse pour faire des images fixes sous tous les angles.
Nous avons équipé la caméra DJI X5s d’un objectif prime Zuiko d'Olympus, d’une focale standard de 50mm.
Avantages de cette optique haut-de-gamme: elle est très piquée et nous permet de faire des images saisissantes, tout en maintenant le drone en vol à une distance de sécurité de 200m (contraintes imposées par le Port de Fos, le Capitaine du bateau et l’armateur). Donc, pas de survol en aplomb, ni de vues en topshot.
Fin du premier vol, notre télépilote drone, habitué aux atterrissages sur bateau, dans les mains du cadreur drone, opère avec grande précision cette phase très délicate, que vous pouvez voir dans notre vidéo du making-of que nous avons réalisée.
Second vol à venir : les prises de vues en vidéo du pétrolier lancé à pleine vitesse. Pour ce faire, nous devons attendre qu’il nous en avise.
Dans cette attente, nous le suivons, après avoir changé la carte SD et mis notre équipement en cabine, bien à l’abri des vagues qui se sont formées à la faveur d’un vent qui souffle plus fort que ce matin, autour des 30kmh.
Le temps passe, mais un problème surgit : l’une des deux voiles rotatives (Rotor Sails en anglais), semble ralentir.
Pire, au moment du décollage, l’une d'elles est totalement arrêtée.
En tant qu’opérateur drone professionnel, nous savions que ce que souhaite avant tout la société de production audiovisuelle, ce sont des images drone où l’on verrait ces 2 voiles tournants à plein régime. Ce pour illustrer le film Corporate que lui a commandé son client Norsepower. Il ne servirait à rien de filmer le bateau avec l’une des voiles stoppées. Nous décidons alors de ne pas décoller, et d’aviser le capitaine du souci. Ce dernier promet qu’une solution va être apporté et se met en relation avec Norsepower en Finlande, qui prend alors le contrôle et force la voile à redémarrer.
45 minutes plus tard, les deux Rotor Sails tournent à 160 rpm et nous avons le GO du Maersk Pelican. Problème: la mer devient difficile pour notre fêle esquif, avec des creux de 2 mètres. Le décollage se faisant toujours à l’arrêt, il n’ya pas à proprement parlé de souci. C’est dans la phase « poursuite » que nous allons souffrir.
Le semi-rigide doit suivre le drone qui lui-même suit le pétrolier. Le pilote de drone doit toujours garder son aéronef télépiloté en vue afin d’assurer son placement par rapport au navire filmé, et en fonction de ce que le cadreur lui demande de faire. Avec des creux de 2m venant d’une houle de face, le bateau fait des bonds impressionnants et il est compliqué de tenir le manche des manettes des radio-commande, tant pour le pilotage que pour assurer un cadrage vidéo précis et fluide.
Par ailleurs, nous sommes régulièrement submergé par les vagues, et nos écrans retour - iPad et CrystalSky - ainsi que les radios souffrent d’une eau salée qui les envahie peu à peu.
Autre ennui : le drone en vol, face au vent, a beaucoup de mal à remonter de la poupe à la proue en moins de 2 minutes. Les plans demandés vont être impossibles à faire: 3 passages du drone à 10, 50 et 150 mètres Faute de puissance, au vu de ce vent et de la longueur du navire.
En tant que société de production drone, nous avons coutume de nous adapter et de prendre les décisions, en plein vol, pour ramener ce qui est faisable et beau, en terme d’images. Mais pour l’heure, il faut poser notre caméra volante, lui changer les batteries et la carte SD, sécher les radios et reprendre notre souffle.
16h : Dernier vol drone. Nous allons chercher des plans vidéos au plus prés des voiles qui tournent très vite. Puis peu à peu nous éloigner du tanker, en faire le tour dans un vol semi-circulaire, puis le laisser filer vers le large avec un joli contre-jour sur l’horizon.
A bord du Padelya manoeuvré de main de maître par Georges, nous souffrons et avons du mal à tenir debout, tant notre bateau est secoué par les vagues, submergé par les embruns. Nous sommes trempé, mais nous voyons sur nos écrans en retour vidéo direct, les magnifiques images qui s’enregistrent.
Jérôme et Sami exultent. Il ne reste que 30% de batterie au drone. Nous avons assez de matière visuelle. L’alerte se fait entendre, et il est temps de poser la machine et de rentrer se sécher et se reposer !
Mission Pelican accomplie. Des images et des sensations plein la tête.
Montage final par le client Norsepower - Bringing sailing back to shipping
Par radio, nous remercions le capitaine du Maersk Pelican et mettons les gaz direction l’Estaque, laissant derrière-nous un bateau équipé d’une technologie éolienne qui in-fine lui permet d’économiser 8% de gasoil, donc de polluer moins l’air, sans pour autant rejeter un eau souillée.
Encore une prestation aérienne par drone dont nous sommes particulièrement fier car elle contribue, certes modestement, à faire connaître les solutions écologiques permettant de diminuer la pollution, l’émission de gaz à effets de serre, donc à lutter contre le dérèglement climatique de notre planète Terre.
Merci donc à nos clients pour leur confiance.